René Jadot – 11e partie
Après Cassel, la vie à Floreffe
I Témoignage.
Au printemps 2019, Michel Barbier rencontre Rose (96 ans), la fille de René, veuve de Paul Jaumain, qui lui raconte: “Je passe toute ma jeunesse au Crolcul avec mon frère Jules. Tout comme mon grand-père Léopold qui y travailla 57 ans, papa travaille toute sa carrière à la glacerie de Franière. Il s’y rend à vélo et au retour, maman, attentive et accueillante, repère les bruits familiers et s’empresse de lui ouvrir la porte du garage. Je la vois encore sortir.
Maman possède deux soeurs, Louisa et Maria qui épouse un menuisier de la rue Célestin Hastir , Théodule Biernaux, un gai luron que l’on avait retrouvé une fois quelque peu “fatigué”, endormi dans un cercueil qu’il venait de terminer.
Louisa quant à elle, marie monsieur Bourtembour, un fermier qui s’installe à Assesse pour ensuite se fixer définitivement en France à Le Thour, distant d’environ 22 kms de Rethel.
Chez soeur Elisabeth, j’ai fréquenté l’école des filles située à l’actuelle régie de routes, toute proche de la maison paternelle.
Je me souviens que souvent, le soir, mes parents jouent aux cartes avec Abel Jaumain, Fernand Leboutte et Jean Leurquin dit Djan Bobo, lequel habitait rue Giroul, chez sa cousine Madeleine Giroul. Avec eux, je joue parfois aux “quines”, un genre de loto “horizontal”.
La vie est calme et tranquille. Le dimanche, en famille, nous allons souvent à pied jusqu’au tombeau du Frère Mutien à Malonne.
Papa cultive son jardin et élève une petite basse-cour.
Tu me demandes si nous allions en vacances. Eh bien, oui! Les grandes vacances, je les attends chaque année de mon enfance avec impatience. Nous partons durant tout le mois de juillet à Le Thour où ma tante Louisa et son mari, comme je te l’ai expliqué, tenaient une grosse ferme louée à une dame résidant à Liège.
C’est toute une expédition pour y arriver. Nous prenons le train à Floreffe jusque Namur où nous changeons de convoi, direction Givet. Là, nous achetons de nouveaux coupons pour rejoindre Rethel d’où, munis des derniers tickets, nous nous installons dans un tram vieillot, poussiéreux pour enfin arriver à Le Thour en fin de journée.
Des vacances de rêve au grand air pour papa qui s’investit dans les travaux agricoles, tandis que maman prépare le beurre et soigne les cochons. Les semaines s’écoulent bien sûr trop vite et nous repartons vers Floreffe par le chemin inverse.
Léopold mon beau-père, souffrant (il décédera le 18-08-1936), vient partager notre vie au Crolcul peu de temps après le décès de son épouse Adolphine (16-08-1932). En évoquant ce prénom, je me souviens d’une grande amie de ma maman, ta grand-mère paternelle Adolphine Overal, modiste et repasseuse” C’est pour cela que je trouve plusieurs photos de Rose dans la cour de la maison de mes grands-parents paternels, 5 rue Célestin Thiry.
“Ma tante Marie Jadot (épouse du grand Minet, maréchal-ferrant) était aussi modiste, chapeau hiver et été. Je descends souvent chez elle et je sers de modèle. Lors de ma communion solennelle, je reçois un joli chapeau et durant le cortège, je tiens un cierge réalisé par monsieur Préat, le grand-père maternel de Dominique Lambrechts.
Papa est un joyeux drille; dans sa jeunesse, il apprend le violon, mais il n’a pas approfondi. Il n’est pas sportif pratiquant mais s’intéresse aux activités des associations locales.
C’est un assidu des réunions mensuelles du cercle Saint-Georges organisées le samedi, d’où il rentrait assez “joyeux” en annonçant à maman “dji so li prumî rintré”.
Le réveil s’avérait quelque peu pénible et maman le peignait avec soin avant qu’il ne quitte la maison pour se rendre à la grand-messe.
Après un bref répit, Rose évoque le début de la guerre 40:
“En mai 40, comme beaucoup de Belges qui ont gardé de mauvais souvenirs des Allemands en 1914, toute la famille a évacué à Saint-Quentin. Il faisait chaud et nous avons fait tout le trajet aller-retour à pied. En effet, à peine arrivés à Saint-Quentin, comme la Belgique avait capitulé, nous sommes revenus à Floreffe.
Au cours de notre périple, nous avons rencontré Désiré Noël le boulanger de la gare et son épouse Alice Massart en compagnie de leur chien. Avant de quitter Floreffe, nous avions acheté un gros jambon fumé à Raoul Gillain. A part cela, nous n’avions pas grand’chose à manger mais on s’est débrouillé tant bien que mal. Papa avait déjà connu pareille situation lors de sa déportation à Cassel et à Kiel lors de la guerre 14-18. On se lavait là où nous trouvions de l’eau, bien souvent dans les ruisseaux. Nous logions avec d’autres évacués dans des étables ou des maisons abandonnées.
Après la guerre, je me suis mariée avec Honoré Jaumain dit “Paul”. Il a fait partie du contingent de soldats belges et britanniques qui ont participé à la prise du fameux pont de Remagen en mars 1945. Ils étaient plusieurs Floreffois à avoir répondu à l’appel dont mon frère Jules, Joseph Bodson, Alfred Lessire… Mon papa est décédé le 19 mai 1965.
Nous avons eu trois enfants Myriam, Marc et Benoît.
J’ai 96 ans, je réside ici à la maison de repos Grand Pré à Wépion, car à mon âge, je n’aurais pu continuer à vivre seule” (témoignage clôturé fin 2019).
II Biographie
René Jadot a grandi dans le centre de Floreffe place du Vieux Moulin, voisin de la famille Hanse dont le fils Joseph deviendra un grammairien de renom international au même titre que Maurice Grévisse. De son séjour à Kiel (sur la Baltique) en avril-mai 1917, nous n’avons que peu d’informations.
René Jadot épouse Aurélie Guilmain (Lilie), le 15 avril 1919 et le couple s’installe au Crolcul.
Comme me l’a confié Rose, son papa s’est impliqué dans plusieurs clubs de la vie associative du village, des archives du journal Vers l’Avenir en témoignent.
Une photo de famille, fin des années cinquante début soixante, avec Rose, Jules et ses parents.
René Jadot s’intéresse au football.
Le 31 mai 1926, il joue dans l’équipe de vétérans opposée à l’équipe première de l’US Floreffe. Dans la composition des équipes, on reconnait de nombreux noms de joueurs issus de familles bien connues de Floreffe, tels ceux de Christiane, Colassin, Beaufays, Burton, Lessire…
En mai 1927, suite à des remaniements au sein de l’US Floreffe, René Jadot devient Président du club de football en remplacement de monsieur Louis Kaisin qui assure désormais le secrétariat. Ce changement créera une polémique entre ce dernier, Millo le chroniqueur attitré et son remplaçant occasionnel (articles Vers l’Avenir 1, 2, 3, 4, 5, 6)
Dès son entrée en fonction, le dimanche 12 juin, le président assiste à un match au cours duquel une vache “un peu folle” s’aventure sur le terrain. Le président ne fait ni une ni deux et s’en va défier la vache qui n’a pas ri en voyant s’agiter un torero sur un terrain qu’elle jugeait le sien. Comme un joueur frustré à l’extrême par l’arbitre, la vachette fonce sur monsieur René. Il fait volte-face, mais trop tard. “Marguerite” le charge et l’expédie dans le décor…. direction le cabinet du docteur Baugniet. Heureusement, la vache était plutôt jouette et le matador s’en tire à bon compte.
Le dimanche 24 juillet 1927, dans un contexte moins périlleux, le président remet une coupe aux joueurs de Wallonia vainqueurs du tournoi des commerçants.
Même après avoir remis son tablier, René Jadot participe encore occasionnellement à certaines activités du club, dont l’organisation d’une pièce de théâtre ” Les deux orphelines”, jouée à la salle des écoles libres, le dimanche 25 janvier 1935.
Et en septembre 1937, il assume la présidence d’un comité de soutien au jeune coureur cycliste André Gossiaux qui remporte plusieurs succès sur route. Une cinquantaine de membres répondent à l’appel dans le but d’apporter une aide financière et logistique.
Il s’est aussi impliqué dans le club de balle pelote Floreffe Centre. En 1960, lors de la mise à l’honneur du joueur Adelin Denis; pour ses 25 ans de présence au club, René Jadot est présent à l’extrême droite, derrière son fils Jules.
Rose Jadot et Aline Philippot-Mouton me confirment que René a tenu la permanence de la mutuelle qui au départ s’appelait “Fraternité de Floreffe”, reprise ensuite par la mutualité chrétienne de Namur. Rose se souvient: “Au départ, la permanence se tenait dans la maison familiale au Crolcul. De nombreux affiliés se déplaçaient à pied, certains de Floriffoux et des villages voisins, pour venir toucher leurs sous. Par après, papa a déménagé dans une maison de l’actuelle place de Soviret.”
Ce que Madame Philippot me précise: ” C’était dans la salle de l’ancienne maison communale, à côté du café tenu par Hélène Massart l’ épouse d’Aimé Sanglier. Par la suite, la permanence s’est tenue dans le café contigu qui était uniquement consacré à la mutuelle pendant les heures de visite. Mon père, René Philippot, donnait un coup de main à l’autre René. Durant les derniers mois prestés par celui-ci, le “repreneur” Arthur Mouton fut initié par le duo jusqu’en 1962, année durant laquelle René Jadot passa le relais à celui qui allait devenir mon mari”.
Suite au décès d’Arthur Mouton en décembre 1981, ce fut Paul Van Twembeke qui assuma la relève jusqu’à la cessation de ce service local en 2009, contraint par la limite d’âge fixée à 70 ans.
René Jadot n’oubliera jamais sa déportation, son lot de souffrances et les amitiés indéfectibles qu’il y avait nouées.
Le dimanche 28 novembre 1926, Buzet commémore les 10 ans de la déportation de civils. Une foule nombreuse assiste à la bénédiction du drapeau de la section, suivie de la grand-messe et des discours de nombreuses personnalités, dont le colonel Malevez originaire de Buzet, le curé Collige, le bourgmestre Joseph Remy, le Baron de Dorlodot et Ernest Broze président de la section de Buzet .
Au terme de ces discours, la foule se rend au cimetière où René Jadot prend la parole en dernier avec une émotion manifeste ressentie par les participants. La société Saint-Charles clôture cette journée du souvenir.
Le vaste sujet consacré à René Jadot est donc terminé, nous espérons qu’il vous aura intéressé et vous remercions d’y avoir prêté bonne attention. Je remercie personnellement toute l’équipe de Bibliotheca Floreffia dont la collaboration fut des plus efficaces, la famille et les personnes qui nous ont fourni les témoignages, les responsables communaux dont les informaticiens et Bernard Gillain qui nous a aimablement prêté sa voix.
Michel Barbier, avril 2021
René Jadot – photo prise vers 1960
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