Marie l’Allemande, des forêts de Bavière aux rives de la Sambre, une figure de Floriffoux.
Les anciens de Floriffoux et alentours se souviennent de Marie l’Allemande, de son vrai nom Marie Rienecker, une personne qui n’a laissé au village que de bons souvenirs.
Je rencontre Alain et Martine, dont la maman fut sa belle-fille, Gilberte Dothée, ayant épousé Richard, son fils décédé sans enfant à l’âge de 27 ans, suite à une maladie contractée au Congo où il travaillait pour la Gécamine.
Marie et son fils Richard, en 1938.
Issus du second mariage, Alain et Martine ont toujours gardé des liens étroits avec Marie qu’ils continuent d’appeler « bobonne ».
Marie Rienecker, née à Grosskahl en Bavière le 24 mars 1900, est la fille de Joseph Rienecker et Catherine Schreckenberger ?. Le 24 juillet 1920, elle épouse dans son village natal, Gustave Renard, né à Malonne le 17 août 1895, fils de Léonard et Adeline Perot. Gustave, déporté civil à Cassel (Allemagne) à la fin de novembre 1916, quitte le camp le six février 1917 et travaille dans une ferme en Bavière jusqu’au quinze juin 1917. Il s’y lie d’amitié avec Marie et finira par l’épouser, après avoir accompli son service militaire en 1919. La transcription conforme de l’acte officiel de mariage est effectuée à l’état civil de Floreffe par Louis Remy, bourgmestre, officier de l’état civil, le 25 août 1923.
Gustave, apparenté à la famille Cayer (elle-même d’origine canadienne), reste attaché à Floreffe. Joueur d’accordéon, il maîtrise aussi le trombone et le tuba qu’il pratique au sein de l’Harmonie Saint Charles.
En 1926, le couple s’installe à Floriffoux, dans une maison située rue du Try, à l’actuel numéro 4. Avec son mari, elle cultive un grand jardin, de l’autre côté de la route, auquel on accède par un chemin situé face à son domicile, à l’emplacement de l’habitation rue Maugère, numéro 3. André Quinart me confirmera l’information, lui qui, dans les années 60-70, s’y rendait avec son père pour lui acheter des plants de fraisiers, vu leur excellente renommée.
En effet, Paulette Seumaye, (épouse Roger Cayer, neveu et filleul de Gustave Renard) me raconte: » Après mon mariage, début 1960, « marraine » m’appelait encore bien pour l’aider à nettoyer le grand jardin, et surtout pour la cueillette des fraises qui tapissaient une grande parcelle de son terrain. On conditionnait les fruits dans des caissettes emportées par le marchand Hastir. Les journées « confiture » ont marqué mon esprit. Une multitude de pots étaient remplis pour sa consommation personnelle, mais surtout pour les oeuvres de Monsieur le Curé Pestiaux, pour lequel chaque année elle utilisait jusqu’à 100 kg de fraises. A la fin de journées bien remplies, elle m’invitait à souper avec Roger. Je me souviens d’assiettes plantureuses constituées de pommes de terre froides, œufs durs, cornichons et gros morceaux de saucisson plongés dans l’eau bien chaude.
Aux environs de 1975, je l’ai accompagnée en train avec Roger et notre fille Jocelyne, lors d’un de ses retours au pays natal pour saluer sa famille. C’était en été, nous sommes restés une quinzaine de jours et avons rendu visite à quasi tous les membres de la famille, sans oublier de nous baigner dans l’ambiance de fêtes bavaroises. Avec son mari Gustave, elle s’y est rendue plusieurs fois aussi en voiture, une « coccinelle »
Martine Monseu pour sa part, se souvient des repas: » A la Noël, dans sa petite maison, elle invitait certains de ses voisins les plus proches; mon mari et moi, Freddy Michaux et Rita Thirion, Daniel Chapelle et Hélène Thirion. Elle nous installait dans le salon et nous présentait l’un après l’autre, potage , entrée, plat et dessert. Elle ne nous accompagnait pas, mais restait dans la cuisine et en sortait pour demander si le repas nous satisfaisait. Il était cocasse et agréable de l’entendre parler français et wallon avec son accent allemand« .
La voici dans sa cuisine en compagnie d’un de ses neveux, accordéoniste qui lui joue sans doute un petit air du pays
Comme me le confirment Martine et Françoise Poisseroux, sa coiffeuse, Marie prisait du tabac et quand elle tombait à court, il lui arrivait de demander une cigarette qu’elle déroulait et humait.
Notre Bavaroise est décrite comme une bonne personne, toujours prête à rendre service, empathique et accueillante. A la bonne saison, lorsque les écoliers se promènent en rangs dans les rues du village, ils font une pause devant sa fenêtre sachant que la dame allait leur donner quelques bonbons en guise de remontant. Il lui arrivait aussi, par la fenêtre, d’offrir un verre de schnaps à des connaissances et de trinquer avec eux, tout en ne buvant elle-même que des boissons non alcoolisées.
Vinciane Vanlondersele, autre voisine, témoigne: « Enfant et jeune adolescente, j’allais relativement souvent chez Marie déguster des plats préparés « maison », dont de la viande hachée enrobée de feuilles de chou. C’était bien bon, copieux et très nourrissant ».
Mais c’est surtout durant la deuxième guerre mondiale que Marie l’Allemande a marqué les esprits des habitants du village.
J’ai aussi rencontré Cyprien Fustin et lui ai demandé s’il connaissait Marie Rienecker. Devant son regard dubitatif, je précise …une Allemande .. et de suite il me lance : « Ah! Marie l’Allemande, oyi, i-gn-a brâmint dès djins à Floriffoux qu’ont yeû dèl chance di l’awè ».
De même, Alain Monseu me rapporte les propos d’Alphonse, le père de Roger Denis époux Mélin, qui habitait au coin de la rue du Try: » Il y a des années, en parlant de Marie, Alphonse m’avait confié que grâce à elle, plusieurs personnes de Floriffoux n’avaient pas souffert de la faim »
Imaginez pendant la guerre, l’état d’esprit de cette dame, même si elle est bien intégrée et belge de coeur: la voilà quasi dans le même dilemme que la reine Elisabeth en 14-18.
Marie s’adressait donc aux envahisseurs dans leur langue maternelle, ce qui sans doute devait leur paraître bien plaisant. Grâce à cette proximité, elle put protéger d’une certaine manière de nombreux habitants, en intervenant auprès de l’autorité occupante lors d’un litige ou encore, en obtenant certaines faveurs, notamment de la nourriture ou d’autres services pour les plus démunis.
Son fils Richard qui lui, maîtrisait la langue anglaise, agit de même lors de l’arrivée des alliés dès le début septembre 1944 (voir sur notre site : https://www.bibliotheca-floreffia.be/project/floreffe-septembre-1944).
Plusieurs témoins dignes de foi ont rapporté qu’elle avait caché dans sa propriété, en 40-45, un aviateur allié que les Allemands, ayant repéré la chute d’un avion, tentaient de retrouver. Lorsqu’ils arrivèrent chez Marie, celle-ci discutera avec eux autour d’un verre et ils repartiront sans trop insister.
Lors de la déroute allemande, elle cacha dans son grenier, pendant plusieurs jours, un jeune soldat allemand déserteur. Après un certain temps d’isolement, quand il ne fut plus impératif de le dissimuler et que cela devenait compliqué, il sortit de sa cachette.
Roger Cayer me précise à ce sujet: » C’est à ce moment-là que je l’ai découvert: j’ai bien connu ce jeune homme, il aidait le couple dans les tâches ménagères et aux travaux de jardinage. C’était un grand mince, prénommé Werner. Il est resté plusieurs semaines, voire plusieurs mois peut-être. Avec Marie, il venait dire bonjour dans la proche famille; c’est elle qui traduisait pour qu’il participe, même de loin, à la conversation. Du jour au lendemain, il est parti. Nous n’avons pas eu l’occasion de le saluer. Sans nouvelles de lui, nous avons perdu sa trace. »
Madame Renée Dache, veuve de monsieur Roger Frérès, me rapporte aussi un fait relatif à la débâcle des militaires allemands: « A cette époque, j’avais 17 ans. Mes parents, mon père René et maman, Irma Namur habitaient rue Just Chaput, près de la rue du Charbonnage. A côté de la maison, un hangar était adossé à la maison familiale. Un matin, début septembre 1944, je suis sortie avec mon chien, un fox, qui s’est dirigé directement au pied du hangar et il s’est mis à trépigner.
Nous savions que des Allemands se trouvaient dans les bosquets, au lieu-dit « Bois Planté » duquel nous étions assez proches. Il s’avéra que deux de ceux-ci se cachaient dans la partie supérieure du hangar. Inquiets et ne sachant comment procéder, nous avons fait appel à Marie.
Elle est montée à l’échelle, leur a parlé quelques minutes et les a convaincus de se rendre. Ils étaient armés et détenaient des grenades.
Ce fait s’est répandu assez vite dans le village, car peu de temps après, des membres de l’armée blanche sont arrivés et les ont pris en charge. Je signale que pendant la guerre, il n’y a pas eu d’Allemands qui ont séjourné dans le village. Je n’ai pas grand chose d’autre à raconter de cette période si ce n’est ce qui a déjà été rapporté.
Tu me parles des fraises de Marie: en revenant de son jardin, elle passait devant la maison de la rue Maugère où nous étions arrivés mon mari et moi, en 1955. Dès qu’elle cueillait les premiers fruits, elle ne manquait pas d’en offrir à mon tout jeune fils René. Il s’en souvient encore très bien ».
Lors du passage des Américains à Floriffoux, elle se trouve au bord de la route de Suarlée et crie « Lebe Amerika! » … lorsque tout à coup un motocycliste s’arrête et s’adresse à elle, étonné d’avoir entendu ces mots. En réalité, cet Américain était lui aussi d’origine allemande.
Mais ce qui a le plus marqué la population, ce fut son intervention lors de la menace d’exécution de civils lors de la débâcle de l’ennemi début septembre.
Bien introduite grâce à sa langue maternelle et aux contacts inhérents à ses origines, elle parvient avec l’aide d’un Bruxellois résidant à proximité, monsieur De Becker, à dissuader l’officier allemand de faire fusiller leurs otages. Ceux-ci passent certainement par le chas de l’aiguille, car selon un article du journal Vers l’Avenir daté du 12 septembre 1944, ce ne fut pas le cas d’un jeune Franièrois, Pierre Struyf, passé par les armes à Suarlée peu après.
Trente ans plus tard environ, le six septembre 1970, le couple fête ses noces d’or.
A cette occasion, le bourgmestre de l’époque, Roger Frérès, prononce un discours lors de la cérémonie organisée à la maison communale, en présence d’un autre couple jubilaire, les époux Quinart-Broze.
Gustave Renard décèdera en 1972. Marie quant à elle poursuivra son petit train-train quotidien dans la bonne humeur, tout en entretenant son jardin, dont son imposante parcelle de fraisiers, aussi longtemps que ses forces lui permettront.
Le 19 avril 1985, elle quittera définitivement son village d’adoption.
Martine, présente lors des funérailles, me précise: » Des membres de la famille dont une nièce, prénommée Lydia, informés par Gilberte, la belle-fille de Marie, vinrent de Bavière assister à la messe d’enterrement. Une interprète était présente et des intentions furent prononcées dans les deux langues.
Enfin, Roger Cayer m’informe de ce qui lui fut rapporté: » Pour preuve qu’il était apprécié dans la famille de Marie, mon parrain Gustave fut vraiment surpris lorsque son beau-père, Joseph Rienecker, lui céda une chope à laquelle il tenait particulièrement. Il considérait ce présent comme un honneur de l’avoir reçu du fils de Louis II, prince héritier allemand de la couronne de Bavière, maréchal de l’armée allemande dès 1914, lors d’une étape avec ses troupes, à proximité de la ferme familiale. Sachant que je collectionnais ce type d’objet, parrain Gustave me remit la chope à son tour quelques années plus tard ».
Suite à la révolution de 1918 en Bavière, il est mis fin à la royauté. Le prince héritier, décédé à l’âge de 85 ans, s’opposa au régime hitlérien. Sa famille fut déportée et son épouse en mourut.
Nous remercions toutes les personnes qui ont accepté de nous confier leurs souvenirs
Michel Barbier et les membres de l’équipe Bibliotheca Floreffia.
Merci pour ce témoignage qui montre qu’il y a toujours le choix libre et qu’il y a des Allemands qui refusaient l’idéologie nazie. Depuis que je me suis installée en Belgique j’ai eu plusieurs remarques qui assimilent trop souvent Allemand = Nazi. Ce témoignage fait un bien fou. Une allemande née après-guerre habitant Floreffe