Floreffe – guerre 40-45 – le tragique bombardement aérien du 4 mars 1944
Samedi 4 mars 1944, 12h35… Tragique bombardement de Floreffe
Début mars 1944, les Alliés décident de frapper Berlin. Initialement prévu le trois mars, ce premier raid est postposé au quatre mars, suite à de mauvaises conditions météorologiques sur la cible. Ce quatre mars donc, après le briefing opérationnel, plus de mille bombardiers décollent d’Angleterre pour la mission ‘Big B’. La photo ci-dessous illustre une forteresse volante ‘B-17 Flying Fortress’ en vol (Coll. David Chaussée).
Les conditions météo sont meilleures mais de la neige et du brouillard sont annoncés.
Carte du trajet suivi par les bombardiers US lors du raid ‘ Big B’ (Coll D. Chaussée).
Les conditions météorologiques se dégradant au cours de la mission, l’ordre est donné aux formations de bombardiers de faire demi-tour et d’attaquer, le cas échéant, des cibles dites d’opportunité, comme Cologne, Coblence ou Bonn. Certaines formations de bombardiers ne rencontrent pas sur leur trajet de retour de cible d’opportunité et les équipages larguent leurs bombes « au jugé » pour la plupart, tant la couche nuageuse est dense et les navigateurs perdus ! Et c’est là que le drame frappe Floreffe.
La direction générale de vol des B-17 suit un axe Assesse-Floreffe-Charleroi- Courcelles.
Carte reprenant l’axe de bombardement au-dessus de Floreffe.
Les bombardiers survolent Floreffe (qu’ils ne voient pas) selon un axe Robionoy-Marlaires-Robersart. La neige et le crachin sont transformés en glace qui couvre dangereusement les ailes et alourdit les appareils : il faut lâcher les bombes, faute de quoi les avions risquent de s’écraser ou de manquer de carburant pour rentrer. Le bombardier appuie sur le déclencheur de la soute à bombes…
Quelques secondes plus tard, c’est l’enfer à Floreffe. Des bombes explosives de 500 kilos (au moins 84) tombent au Préat et sur Robersart tandis que des incendiaires frappent vers Sovimont, Sart-Saint-Laurent, la Froidebise, le Pré-Couvert, Biétranry…
Floreffe paye un lourd tribut : neuf morts, des blessés, des habitations rasées.
I. Robersart : la ferme de la famille Chaussée est pulvérisée, une bombe tombe en plein sur le corps de logis, au moment où tout le monde est à table : quatre morts ! Louis CHAUSSEE (48 ans), ses deux fils Oscar (12 ans) et Louis (7 ans), ainsi que Denis JANS (58 ans), ouvrier agricole, habitant Deminche (Franière). Les photos de la ferme de Robersart font partie de la collection de David Chaussée.
Les quatre photos ci-après sont reprises du dossier de demande de dommages de guerre, rentré à l’Administration par le propriétaire de la ferme, Monsieur le Comte Bernard d’Ursel. La personne au centre de la troisième n’a malheureusement pas pu être identifiée.
II. Au Préat : la brasserie Pêtre est touchée de plein fouet. Heureusement, ce sont les bâtiments d’exploitation qui subissent le plus de dégâts tandis que le corps de logis est relativement épargné. Madame veuve Clément PETRE, née Alice MINET (50 ans), est tuée dans la cuisine située entre le corps de logis et les bâtiments d’exploitation, en même temps que Gustave DUBOIS (50 ans), le comptable. Dans l’ancienne bouteillerie, on retrouve le corps sans vie de Dieudonné CORIA (56 ans), maçon, qui y mangeait. Enfin, une quatrième victime, Hubert GENOT (60 ans), ouvrier brasseur, est soufflé par les explosions et son corps déchiqueté n’est retrouvé que deux jours plus tard, au pied des noyers bordant le Wéry. Sur la quatrième photo ci-dessous, Paul JAUMAIN est perché sur les restes de la brasserie.
III. La rue Alphonse Bertrand et la Dolomie
A la rue Alphonse Bertrand, une victime est à déplorer : Jeanne PIRET (20 ans) ; blessée par un éclat de bombe, elle décèdera le lendemain des suites de ses blessures, à la clinique Sainte Elisabeth de Namur.
A la carrière de la Dolomie les fours à chaux sont touchés ainsi que la maison du Directeur longeant la rue Emile Lessire. A Sovimont, les dégâts constatés sont mineurs, essentiellement provoqués par le souffle des explosions : vitres brisées et tuiles arrachées.
La rue Emile Lessire :
La carrière de la Dolomie :
Funérailles des victimes le 8 mars 1944
David Chaussée relate : « Les gens venaient de partout, c’était le premier bombardement dans la région depuis les combats de mai 1940. Toutes les écoles et les élèves du Séminaire ont fait la haie de la commune jusqu’à l’église, les gens étaient massés le long du cortège. À 10h30, dans l’église, les six cercueils étaient alignés, ceux de Louis Chaussée, Louis Chaussée fils, Oscar Chaussée, Gustave Dubois, Hubert Genot et Alice Minet. Jeanne Piret, tuée au Préat, ne passera pas par l’église, ses convictions sont différentes. Denis Jans (tué à la ferme de Robersart) et Dieudonné Coria auront des obsèques à Franière. L’offrande a duré plus de deux heures, les gens entraient sans cesse en flux continu. La messe était déjà commencée qu’il y avait encore des gens en bas sur la route pour passer à l’offrande, le flot était ininterrompu. Après la messe, les cercueils sont descendus dans les caveaux respectifs ». Les photos ci-dessous ont été prises par Emile Namèche.
Les conclusions de la mission de bombardement de ce 4 mars 1944 sont les suivantes : seuls trente B-17 ont bombardé la cible initiale qui était Berlin. Cent B-17 ont bombardé Bonn, trente-cinq Cologne, trente-trois Düsseldorf, sept Francfort et trente-trois autres des cibles dites d’opportunité, sans en connaître le lieu exact.
Alors, pourquoi pas Floreffe, seulement distante de 190 Kms de Cologne et 170 Kms de Bonn, ce qui représente à peine vingt minutes de vol, ce qui est relativement court à l’échelle de la navigation aérienne ‘à l’estime’, dans les très mauvaises conditions de vol de cette mission.
Quatre-vingt-quatre bombes tombées sur Floreffe à raison de huit bombes de 500 kg par B-17, cela représente une dizaine d’avions. Si on considère qu’un Bomb Squadron représente généralement neuf avions, on pourrait conclure que le nombre d’avions ayant largué leurs bombes dans notre région est relativement limité.
Une bombe tombe entre le magasin Bajart et la maison Martin (entre les numéros 9 et 10 actuels) sans exploser ! La chance… Elle ne fut retirée qu’en 1948…
Fin des années ’70, début ’80, une autre bombe non explosée fut retrouvée, enterrée, près du château des Grottes. Elle fut détruite par les services de déminage de l’armée belge dans les prés de Wimbausteck.
En 1994, lors de la commémoration des cinquante ans de cette tragédie, une stèle est inaugurée à l’angle des rues du Séminaire et de Robersart, en présence des familles, du bourgmestre André Bodson, de l’abbé Ferminne et d’une foule nombreuse.
Les traces
Aujourd’hui, les plaies se sont refermées, la nature a repris ses droits et les traces disparaissent. Le bois Roly, à Franière, dans l’axe de bombardement, garde cependant encore quelques traces ; çà et là, des entonnoirs, que plus personne ne regarde car ils font partie du paysage et qui, petit à petit, disparaissent sous la végétation. Témoins silencieux de ce jour tragique. Les photos ci-dessous ont été prises le neuf septembre 2023.
Hervé Legros, pour Bibliotheca Floreffia, Février 2024.
Annexes
Bibliotheca Floreffia présente également les deux cartes postales ci-dessous pour permettre au lecteur d’appréhender la configuration des lieux du bombardement. En effet, sur la carte postale de gauche, la ferme de Robersart est clairement visible et domine la vallée. La brasserie Pêtre est hors du cadre de la photographie, mais se trouve sur la droite, plus ou moins à mi-hauteur de la carte. La grande bâtisse blanche, sous les murs de l’abbaye existe toujours, de même que le bâtiment carré en bas de la carte, qui est occupé aujourd’hui par l’établissement “Racines”.
Sur la carte de droite, la ferme de Robersart et la rue Bertrand sont bien visibles. Nous y retrouvons également la bâtisse blanche, aperçue sur la carte de gauche. Les deux bâtiments en bas, à droite, existent toujours.
Commémoration en 2024
Ce dimanche 3 mars 2024, 80 ans après les faits, en présence des descendants des familles touchées -Chaussée, Dubois, Coria et Piret -, des élus communaux ainsi que de nombreuses associations locales et patriotiques, Floreffe s’est souvenue de la plus grande tragédie humaine de son histoire contemporaine qui coûta la vie à 9 victimes civiles. La journée de commémoration a débuté par une cérémonie religieuse en présence d’une centaine de personnes.
Un cortège s’est ensuite rendu à la stèle consacrée aux victimes à côté de laquelle Bibliotheca Floreffia a invité les descendants des familles à dévoiler un panneau mémoriel réalisé par ses soins.
La présence des descendants des familles a apporté une dimension humaine particulière à cette commémoration. Ainsi, Jean Chaussée, 94 ans, a confié se souvenir de ces moments dramatiques comme si c’était hier : il reste marqué à jamais par ce drame où il a perdu son père ainsi que ses deux frères Louis et Oscar.
La matinée s’est terminée à la salle paroissiale de Floreffe par un moment convivial autour du verre de l’amitié offert par l’administration communale.
Discours prononcé par Hervé Legros
Monsieur le Bourgmestre,
Mesdames et Messieurs les échevins et les conseillers,
Mesdames et Messieurs les représentants des associations patriotiques, de la Croix-Rouge, des Turcos et des Zouaves,
Mesdames et Messieurs les membres des familles des victimes,
Mesdames et Messieurs, en vos titres et qualités,
Chers amis,
Je suis très heureux de vous voir aussi nombreux, rassemblés pour la commémoration d’aujourd’hui.
Nous nous réunissons, en effet, pour honorer la mémoire des victimes civiles du tragique bombardement du 04 mars 1944 qui a frappé notre commune.
Je commencerai par un bref rappel historique des faits : le quatrième hiver de guerre touche à sa fin mais crachin et chutes de neige recouvrent nos régions. L’Allemagne est aux abois. Ce jour-là, les Alliés ont décidé de bombarder Berlin, capitale du Reich. Plus de mille forteresses volantes B-17 aux soutes emplies de bombes explosives ou incendiaires de cinq cents kilos ont décollé d’Angleterre. Les conditions météo exécrables et une couche nuageuse très dense obligent ces avions à faire demi-tour et à s’alléger au maximum en larguant leurs bombes au jugé. Ce sera la tragédie pour Floreffe, son quartier du Préat et la ferme de Robersart, on y dénombre neuf victimes.
C’est un moment de profonde tristesse et de réflexion, où nous honorons la mémoire de celles et ceux qui ont perdu la vie, en ce triste samedi de mars 1944.
En cette occasion, nous devons nous rappeler que derrière chaque victime se trouve une histoire, une famille, des rêves et des espoirs. Ces hommes, femmes et enfants ont été pris au piège d’un conflit qui les dépassait, et ils ont payé le prix le plus lourd. Nous ne devons jamais oublier leur sacrifice et la douleur endurée par les familles.
Aujourd’hui, nous nous unissons pour rendre hommage à ces victimes et pour exprimer notre solidarité envers leurs proches, et ce, 80 ans après les faits.
Mais commémorer ne signifie pas seulement se souvenir des victimes, c’est aussi une occasion de réaffirmer notre engagement envers la paix, la liberté et la démocratie. Nous devons nous efforcer de prévenir de tels actes de violence à l’avenir, en travaillant ensemble pour construire un monde où la tolérance, le respect et la compréhension mutuelle prévalent.
Enfin, je voudrais rappeler que la mémoire des victimes ne doit jamais être oubliée, c’est notre devoir. Puissent ces victimes civiles innocentes vivre à jamais dans notre mémoire.
Pour le 50ème anniversaire, sous l’impulsion de notre regretté ami André Lessire, André Bodson, bourgmestre, inaugurait la stèle derrière moi. Aujourd’hui, nous sommes fiers et heureux d’ajouter à cette stèle un panneau mémoriel et didactique, agrémenté non seulement de photos des dégâts matériels occasionnés, mais surtout de celles des neuf victimes. Un QR code placé sur le panneau, renvoi vers notre site Bibliotheca Floreffia, où un article complet sur le sujet est disponible.
Encore merci à toutes et tous pour votre présence aujourd’hui, et j’invite Philippe, notre bourgmestre, à découvrir avec moi le panneau mémoriel.
Hervé Legros, pour Bibliotheca Floreffia, dimanche 03 mars 2024.
Ces quelques fleurs nous permettent de nous rappeler la mémoire des 9 victimes :
Louis CHAUSSEE
Oscar CHAUSSEE
Louis CHAUSSEE – fils
Dieudonné CORIA
Gustave DUBOIS
Hubert GENOT
Denis JANS
Alice MINET
Jeanne PIRET
Pour ces 9 victimes, je vous demande une minute de silence.
Hervé Legros, pour Bibliotheca Floreffia, dimanche 03 mars 2024.
Bibliographie
- Communications personnelles de David Chaussée.
David Chaussée nous fait part de ce commentaire : J’ai eu papa au téléphone et il était très ému. Il m’a dit combien il était content que les gens se rappellent et que la cérémonie était bien organisée. Merci Hervé.