L’amitié au camp.
du 18/12 au 24/12/1916
Grands froids et fortes gelées – La correspondance arrive ! – Réconfort et résignation –
L’amitié au camp.
«Il fait très sombre dans les baraques» : les nuits sont très froides et le gel persistant, très fort. Même en dormant tout habillé, il ne fait pas bien chaud sous la couverture.
Le lundi 18 décembre, troisième lundi d’exil, voit le départ de beaucoup d’entre eux.
Où vont-ils ? Pour que faire ? Questions que chacun se pose mais qui restent sans réponse.
Le lendemain mardi, René reçoit sa première carte. Très vite pourtant, il déchante.
Il lui est en effet reproché de n’avoir pas donné de ses nouvelles alors qu’il a écrit à deux reprises déjà, le 30 novembre et le 4 décembre. S’il peut comprendre que sa famille attende des nouvelles, sa journée n’en est pas moins «complètement gâtée».
Il rend alors visite à son ami de Malonne, Ferdinand, qui le consolera un peu. Ce dernier est son véritable soutien, son ami le plus proche.
Enfin, LA journée tant attendue : le mercredi 20 décembre où il ne reçoit pas moins de six cartes! Deux d’Aurélie, une de Maria, une de M. le vicaire et une autre des joueurs de cartes. C’est sa journée de chance -«qui rend du courage, vous ne le croiriez pas, surtout après une journée comme hier»-.
René lit son courrier (cela lui prend 1/4 h.) et le relit à la soirée en pensant au village et à ceux qu’il y a laissés. Seul point noir de cette journée: ils ne peuvent plus écrire «pour le moment».
Le jeudi, s’il ne reçoit rien, il apprend par son voisin de chambrée, Maurice, qu’amis et famille ont bien reçu ses lettres. Ce même jour, l’ensemble du baraquement profite d’une douche générale qui fait du bien et réchauffe.
Au moment de s’endormir, nouvelle distribution de courrier; il se précipite. Ô joie! Une carte de réponse. Inutile de dire qu’il passera une bonne nuit, surtout qu’il apprend que son ami Paulin, resté à Floreffe, poursuit ses démarches en vue de son rapatriement.
Le reste de la semaine s’écoule normalement, en ruminant ses espoirs déçus de retour pour Noël. Au nouvel an, peut-être ? Il faut se résigner, prendre patience.
La relecture des courriers reçus lui est un précieux adjuvant.
Enfin, pour l’anecdote, René est l’heureux gagnant d’une tombola dont le premier prix est une belle pipe. Avec l’humour qui le caractérise, il se dit qu’il fallait qu’il vienne à Cassel pour avoir un peu de chance !
René Jadot – 4e partie -2evolet
De bien tristes fêtes
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pense qu’à Floreffe on sort
de la messe basse. Il neige
la journée s’achève morose et
triste moi qui espérais être
rentré mais espérons pour la
nouvelle année ??? Le 26/12/16
le beau soleil égaie un
peu notre triste sort par
ses bienfaisants rayons. Après-
midi grande partie de chasse-
cœur. On demande aussi cette
après midi la liste des emplo-
yés et étudiants. Je me fais ins-
crire avec Maurice et Georges23 ??
Le 27/12/16 la matinée se
passe normalement, encore
un chasse-cœur jusqu’à
vers 2h après-midi. Nous
23Vraisemblablement Georges JEANMART
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manque de tables et de sièges
et que le dos y renonce à
cette position de tailleur.
Si c’était Doudou il pourrait
résister lui… Aujourd’hui soir
la ration de soupe est doublée
contentement général. Le soir
j’assiste à une partie de banque,
jugez donc du passe-temps de
certains. La nuit se passe assez
bonne le dos étant maintenant
habitué à la couchette. Le 28/12/16,
invalides et étudiants24 – entre autres
l’ami Émile25 – à qui je demande
qu’il aille chez moi donner de
mes nouvelles (quelle veine) pour lui.
Le menu du soir comprend
24verbe manquant, lire “rentrent en Belgique”
25Émile LACOURTE, 19 ans, de Franière, rentré le 30 décembre 1916
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pommes de terre avec œufs de
poisson. Après souper je me
rends à la baraque « La fuite »
près du camarade Ernest
Closset. Nous fumons quelques
cigarettes tout en causant
de choses et d’autres.. avec tout
deux confiance dans le prochain
retour. S’effectuera-t-il bientôt ??
Je me couche vers 9h. J’omets
de noter que dans le courant
de la journée j’ai adressé
une réclamation au bureau
de ma cie où j’ai exhibé mes
certificats26 à l’officier de
service qui a pris bonne note.
Réussirai-je ?? Que Dieu le
veuille.. enfin courage et
26 attestations de travail
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confiance. Le 29/12/16 au lever
on pense au beau jour du nou-
vel an qui arrive à grands pas
et que nous ne verrons pas chez
nous hélas. Au dîner bonne
soupe au poisson (5c27 ) la même
quantité le soir dit-on (maïs) quelle
chance. Je rédige ces notes après-
midi après une partie de cartes
tout en fumant un bon cigare
de Cassel à 0f2528 (on n’est pas
riche mais on vit bien). J’ai
été au matin à la cantine prendre
1M. de limonade. Après le
souper du soir causerie avec l’ami
Ernest Closset. Je rentre le soir
vers 8 1/2h. A peine couché
arrive de la correspondance.
Louis, Maurice et Georges sont
27 cuillerées
28 25 pfennig soit 1/4 de mark
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appelés; rien pour moi, je me
recouche. Après 10 minutes on revient
à nouveau cette fois j’en ai une
d’adressée, celle de Marie datée
du 23. Après en avoir pris connais-
sance je suis encore réconforté un
peu, il y avait longtemps que l’on
n’avait rien reçu de son cher pays.
Le 30/12/16 habituelle partie de
cartes en matinée. De suite après
la soupe de midi on m’appelle
à nouveau ? C’est une carte de
Léon du 23/12/16. Cela fait la 11e
depuis mon arrivée. Ca va bien,
malheureusement nous ne pouvons
donner de nouvelles depuis le
08/12/16. Après-midi on passe la
visite du médecin. Le 31/12/16
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nous changeons de vêtements
depuis notre départ croyant toujours
faire cette besogne chez nous…
Je remarque que j’ai eu des
invités dans mon sac ma ration
de pain étant entamée. Encore deux
tristes jours à passer ici. Aujourd’hui
rien de fait pour le réveillon…
Espérons que nous en ferons un
à notre retour !! Après midi vers 2h
pendant que vous dinez en famille
je relis mes correspondances afin
de tuer le temps et reprendre un
peu de courage, cela se fait
toujours sur le sac à paille.
Je passe la soirée chez Ernest
Closset cela servira de réveillon.
De bien tristes fêtes
du 25/12 au 31/12/1916
De bien tristes fêtes de Noël et de Nouvel an – Un courrier abondant – De l’art de tuer le temps.
«Pauvre jour de Noël qui ne se passe pas en famille…». Ainsi commence le carnet de René Jadot à la date du 25 décembre. Il neige. Il se rend à la messe du matin (à 9 h.1/4).
Cette journée de Noël que rien au camp ne distingue des autres journées le laisse morose et triste, lui qui espérait être rentré.
Le lendemain, le soleil revient égayer quelque peu leur «triste sort». Comme d’habitude, la journée se passe en parties de cartes et causeries.
Il note toutefois qu’on demande la liste des employés et des étudiants du baraquement.
Avec deux copains, il s’inscrit comme employé, étant comptable à la Glacerie de Franière.
Le mercredi, en raison d’un manque de tables et sièges, ils interrompent leurs parties de cartes, la position en tailleur étant trop fatigante pour le dos. Le lendemain, René décide d’adresser une réclamation au bureau de sa compagnie en exhibant ses certificats à l’officier de service. Il espère ce faisant, être renvoyé chez lui puisqu’il apporte la preuve qu’il n’est pas chômeur.
La perspective de passer le Nouvel an loin du pays l’attriste, le rend cafardeux. Il s’efforce de garder le moral, de reprendre courage en lisant et relisant ses courriers, en jouant aux cartes puisque rien n’est fait pour le réveillon du 31 décembre.
Il passe une visite médicale qu’il ne commente pas et signale en passant qu’ils changent de vêtements le 31 décembre pour la première fois depuis leur départ de Franière, le 27 novembre précédent! Cette «besogne», ils pensaient la faire chez eux, au retour…
Cela en dit long sur leur optimisme et leur désappointement actuel.
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