Franière – Guerre 40-45 – Résistance – Irène CHARTIER (dit Charles MASSART)

Monsieur Claude Macé nous a envoyé les quelques lignes ci-dessous ainsi qu’un extrait de son dernier ouvrage traitant de la résistance et plus particulièrement de la fin tragique d’un de nos concitoyens, Irène CHARTIER (dit Charles MASSART).

“Suite à ma visite en mairie de Floreffe, il y a environ 2 ans, j’avais pu compléter les informations que je recherchais sur René CHARTIER, enfant de Franière, réfugié en France (département de l’Aube) en 1944, combattant volontaire au maquis “Châteaubriant” de Saint-Maurice-aux-Riches-Hommes (Yonne), arrêté par les Allemands, déporté et décédé le 14 mars 1945 à Flöha, Kommando du camp de concentration de Flossenbürg.
Je ne me souviens plus si je vous avais envoyé, à l’époque, la fiche que nous avons établie sur lui et qui figure dans notre ouvrage : “La répression dans l’ouest aubois – 1939/1945”. Vous la trouverez en pièce jointe.
Bien cordialement.
Claude Macé
Animateur du “Collectif Romilly 39/45 – l’impossible oubli”

René CHARTIER (dit Charles MASSART)

           Sur la cabane de chasse du Bois du Vignot, commune de Saint-Maurice-aux-Riches-Hommes, est apposée une plaque rendant hommage aux treize résistants du groupement Châteaubriant tués au combat, fusillés par les Allemands ou morts en déportation. Parmi eux figurent les noms de Charles Massart et de René Chartier, tous deux mentionnés comme morts en déportation et dont la trace n’avait pu être retrouvée avant l’édition du livre « La Résistance dans l’ouest aubois ».

Depuis lors, le nom de Charles Massart a pu être relevé dans les archives allemandes d’Arolsen où plusieurs documents le concernant existent. Selon ces documents, Charles Massart serait né le 22 mai 1914 à Franière, province de Namur, en Belgique. Or, à cette même date nait au village de Franière un garçon nommé Irène Chartier, fils d’Irène Chartier et d’Adelina Gérard, son épouse.

D’Irène, prénom certainement difficile à porter pour un garçon, à René qui lui est proche, il n’y a qu’un pas que nous avons franchi pour arriver au constat suivant : René Chartier et Charles Massart sont très probablement une seule et même personne, René Chartier étant le nom véritable et Charles Massart un pseudonyme de maquis. La validité de cette hypothèse a été confirmée par le livre-mémorial édité par la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (FMD) qui mentionne le nom d’Irénée Chartier (le prénom diffère un peu mais les date et lieu de naissance concordent) et qui ajoute : “dit Charles Massart”. Notre certitude sur ce point est finalement venue d’Henriette Matuchet (épouse Picard) de Marigny-le-Châtel, elle-même déportée, qui dira l’avoir recueilli chez elle à son arrivée dans notre région et lui avoir trouvé du travail à la ferme de Bernard Laurent.

 Irène, Charles, Ghislain Chartier naît donc le 22 mai 1914 à Franière, province de Namur en Belgique, fils d’Irène, Charles, Marie Chartier, ouvrier d’usine originaire de Santenoge (Haute-Marne) et d’Adelina, Marie, Joseph Gérard, ménagère1.   De l’enfance de René Chartier nous ne savons rien. En revanche, grâce à la correspondance d’Henriette Matuchet, nous apprenons que son frère cadet, Pierre Chartier est parti en Allemagne, à Nuremberg, comme travailleur volontaire. Ils sont en famille par la mère d’Henriette Matuchet, née Chartier. Henriette et Pierre entretiennent une correspondance dans laquelle l’un et l’autre, très imprudemment, disent tout le mal qu’ils pensent de l’Allemagne nazie. Ces lettres sont ouvertes par les Allemands et constitueront des éléments à charge qui conduiront à l’arrestation et à la déportation d’Henriette Picard (voir sa fiche).

          René Chartier, pour sa part, refuse d’aller travailler en Allemagne. Il quitte sa Wallonie natale pour venir se réfugier en France chez sa parente Henriette Matuchet, à Marigny-le-Châtel dans l’Aube. Celle-ci lui trouve du travail à la ferme de Belle-Assise de Bernard Laurent2. Cependant, décidé à combattre les Allemands, René Chartier rejoint le seul groupe de maquisards constitué alors dans notre secteur, le maquis Châteaubriant.  Il prend le nom de guerre de Charles Massart. Lorsque le maquis est attaqué, le 7 mars 1944, il parvient à s’enfuir. Avec d’autres partisans, ils se retrouvent dans un bois, près de la ferme de l’Érable, commune de Barbuise-Courtavant (Aube). Le 13 mars, ils sont attaqués par des GMR. René Chartier s’échappe de nouveau mais se fait arrêter le 17 mars à Provins (Seine-et-Marne)3.

Interné à Troyes, puis à Compiègne, sous le nom de Charles Massart, il est déporté le 27 avril 1944 dans l’un des trois convois non juifs, dit « convoi des tatoués » vers le camp d’extermination d’Auschwitz, matricule 186046. Puis il est transféré au KL de Buchenwald le 12 mai 1944, matricule 53632, et enfin à Flossenbürg, matricule 9977.  Le 25 mai 1944, René Chartier est dirigé sur Flöha, Kommando de Flossenbürg. Il contracte la tuberculose fin janvier 1945 et décède le 24 mars 1945 à 14 h 20. Sur tous les documents allemands, récupérés par « Arolsen Archives », seul le nom – plutôt le pseudonyme – Charles Massart est mentionné5.

1 Etat civil de Franière en Belgique.http://www.bddm.org/liv/details.php?id=I.206
2 Bernard Laurent qui deviendra maire de Marigny-le-Chatel et 1er président du Conseil Général de l’Aube, a aidé le maquis de Rigny-la-Nonneuse. Il a été arrêté sur dénonciation.
3 « La Résistance dans l’ouest aubois » Collectif Romilly 39-45 l’impossible oubli p.39.
4  FMD, Partie I, liste n°206 (I.206) précise qu’Irénée Chartier né à le 22-05-1914 à Franière en Belgique prend le surnom de Charles Massart.
5  Arolsen n°6586470 – n° 10942750 – FMD Partie I, liste n°206 (I.206).

Compléments (Bibliotheca Floreffia): http://www.bddm.org/liv/details.php?id=I.206.

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Acte de naissance d’Irène Chartier, né à Franière le 22 mai 1914 (Extrait d’actes d’état-civil de la commune de Floreffe).

Ci-dessous, Bibliotheca Floreffia vous présente les documents conservés dans les archives d’Arolsen concernant Charles Massart, pseudonyme de Irène Chartier, ainsi que ceux retrouvés dans les archives de la commune de Floreffe.

Comme vous pouvez le voir, il a séjourné dans trois camps différents, tous de sinistre réputation : Auschwitz, Buchenwald et Flossenbürg, où il est décédé de tuberculose pulmonaire (lungentuberkulose), le 24 mars 1945 . Ces documents nous apprennent également qu’il avait la nationalité française et qu’il était considéré comme un prisonnier politique.

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Jugement actant le décès d’Irène Chartier, transmis à l’administration communale de Franière.

En poussant les recherches un peu plus loin, notamment dans les bases de données des militaires et résistants français décédés durant le second conflit mondial, Bibliotheca Floreffia a pu identifier deux dossiers concernant notre concitoyen, disponibles au Service historique de la Défense de Caen. Grâce à l’aimable collaboration de Claude Macé, nous avons pu récupérer ces dossiers. Ces différents documents nous permettent de mettre en lumière les quelques mois passés au maquis par Irène Chartier, sous le pseudonyme de Charles Massart. Nous remercions encore monsieur Macé pour l’interprétation de ces documents.

Page 1 : René (Irène pour l’état-civil de Franière) Chartier est donné comme « soutien de famille sans service militaire », ce qui laisse supposer que son père était décédé (*) à l’époque de sa conscription vers 1934. Il n’a pas été mobilisé non plus en 1939.                                                                                   (*) En fait le 20 novembre 1926 d’après les renseignements obtenus par Bibliotheca Floreffia auprès de l’administration communale de Floreffe.
Il est noté comme ayant travaillé à la glacerie de Franière, qu’il semble avoir quittée lorsque celle-ci a travaillé pour les Allemands.
Il est exact qu’il a été recueilli à son arrivée en France par sa cousine Henriette Matuchet, épouse Picard. Elle habitait Marigny-le-Châtel (Aube) et lui a trouvé une place d’ouvrier agricole à la ferme de Belle-Assise, tenue par Bernard Laurent. Elle-même a été arrêtée le 19 janvier 1944 par la Gestapo de Troyes pour propos antiallemands trouvés dans la correspondance (interceptée par les Allemands) qu’elle entretenait avec Pierre Chartier, frère de René, alors travailleur volontaire en Allemagne (Nuremberg). Elle sera déportée à Ravensbrück mais reviendra de déportation.
René Chartier a alors gagné le maquis le plus proche de Marigny-le-Châtel existant à l’époque : le maquis Châteaubriant, installé dans le Bois du Vignot, sur la commune de Saint-Maurice-aux-Riches-Hommes, laquelle, située dans le département de l’Yonne, est limitrophe du département de l’Aube. Il y a pris le nom de guerre de Charles MASSART et a été placé sous les ordres de Myrtil Simonet (dit le grand-père – il avait 45 ans !). S’il est exact que Myrtil Simonet a été par la suite chef de groupe au maquis de Rigny, c’est bien au maquis Châteaubriant qu’il a accueilli René Chartier car à l’époque le maquis de Rigny n’existait pas encore (créé après la mi-mai 1944).

Page 2 : Cette page nous apprend que les états de service de René Chartier au sein des FTPF (Francs-Tireurs et Partisans Français, organe de combat du Parti Communiste Français clandestin) commencent le 3 février 1944. À cette date, le maquis Châteaubriant, déjà constitué depuis novembre 1943, se trouve dans les bois de la commune de Ferreux-Quincey, dans des abris sommaires faits de branchages. Le transfert du maquis dans la cabane de chasse du bois du Vignot a été réalisé le 7 ou le 8 février 1944. Il est donc probable que René Chartier a connu durant quelques jours la dure vie des maquisards sans véritable abri en plein hiver.
La description des actions du maquis est exacte. On peut lui ajouter des coups de main sur des perceptions, des mairies, des gares, des bureaux de poste, des bureaux de tabac, afin de se procurer des tickets de ravitaillement, de l’argent et de quoi fumer.
L’attaque du maquis du bois du Vignot a eu lieu le 7 mars 1944 au matin et non le 5 mars. Les 2 sentinelles, surprises, ont été grièvement blessées par les Allemands et achevées sur place. 9 maquisards, arrêtés sur place ou ultérieurement, ont été fusillés. 6 autres – dont René Chartier – ont été déportés. Tous sont morts en déportation. Ainsi, ce petit maquis Châteaubriant d’une quarantaine de personnes en comptant ses soutiens logistiques, a-t-il perdu 17 des siens.
Les maquisards, dont René Chartier, qui sont parvenus à fuir lors de l’attaque du 7 mars 1944, se sont regroupés aux abords de la Ferme de l’Érable, sur la commune de Barbuise-Courtavant, proche de Marnay-sur-Seine. Là, ils ont été de nouveau attaqués – vraisemblablement suite à dénonciation – le 12 mars 1944 par des GMR (Groupes Mobiles de Réserve, supplétifs de la police française). 2 maquisards ont été blessés et capturés (ils ne seront pas remis aux Allemands et survivront donc à la guerre). Selon son dossier, René Chartier a également été arrêté lors de cet épisode, alors que nous pensions qu’il avait été arrêté avec d’autres camarades maquisards à Provins. Quoi qu’il en soit, lui va être remis aux Allemands et déporté.

Page 3 : René Chartier a été déporté le 27 avril 1944 à Auschwitz (où tous les déportés de son convoi ont été tatoués à l’arrivée). Il a été transféré le 12 mai à Buchenwald, puis dirigé sur Flossenbürg où il a été affecté au Kommando de Flöha le 25 mai 1944. C’est là qu’il est décédé le 24 mars 1945, officiellement de tuberculose, plus probablement de manque de nourriture et de mauvais traitements.

Pages 4-5-6-6bis : René Chartier a été déclaré « Mort pour la France » et a obtenu le titre de « Déporté-Résistant » mais nous ne savons pas s’il était de nationalité française (son père étant originaire du département de la Haute-Marne) ou belge. – NDLR: d’après les documents retrouvés à Flossenburg, la nationalité (staatsangehörigkeit) est donnée pour française.

Page 7 : Cette attestation produite par Roland Nigond n’a qu’une valeur documentaire. Roland Nigond, lieutenant FTPF, a commandé un petit maquis dans le sud du département de l’Aube et n’a jamais mis les pieds dans le secteur ouest du département où opéraient les maquis du Bois du Vignot et de Rigny-la-Nonneuse. A fortiori n’a-t-il pu connaître René Chartier.

Pages 8-9 : /

Hervé Legros, pour Bibliotheca Floreffia, Juillet 2024.

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