À Cassel - Dans l’attente de colis et de correspondance
Du 15/01 au 21/01/1917
Dans l’attente de colis et de correspondance -Distribution des premiers biscuits –
De faux espoirs – Une rigueur hivernale exceptionnelle
L’espoir fait vivre, affirme le dicton. Que penser dès lors de ceux qui donnent de faux espoirs.
Nous sommes le vendredi 19 janvier. La veille a été un jour faste pour René Jadot.
Imaginez : non seulement, il a reçu dix beaux biscuits lors d’une distribution d’après souper mais en outre, deux cartes postales de Marie, une d’Aurélie, une autre de son copain Marcel et une lettre de son ami Paulin qui a joint des certificats. Son bonheur est complet.
Vers huit heures du matin, le lendemain, le chef de chambre donne l’ordre à chacun de reporter après-midi au bureau, «son bassin, cuiller, essuie-mains et ses deux couvertures pour l’empaquetage. A treize heures, après le dîner, c’est le départ, «tout équipés» et surtout, emplis du fol espoir de quitter enfin ce maudit camp de Cassel.
Hélas! il ne s’agit que de changer de baraque …
Par chance, «à peine installé dans le nouveau logis», on lui remet une carte de Nouvel an de Maria égarée dans une autre compagnie, ce qui lui met du baume au cœur.
Pour le reste, c’est le train-train habituel entrecoupé de ces longues causeries qui constituent «le plus agréable moment qu’ils passent» avec Louis, Maurice, Ernest, … Il peut aussi à nouveau depuis le 8 décembre, écrire à sa famille, en ayant obtenu la permission le 17 janvier.
Le samedi, le temps étant décidément trop froid pour se lever, René se réchauffe comme il peut dans ses couvertures. Ce soir-là, pas de souper, «les Flamands ont chipé leurs pommes de terre»! Heureusement chacun reçoit un nouvel arrivage de bons biscuits – soit trente chacun ! «Il faudra bientôt un petit chariot s’ils devaient se déplacer (!)» ironise gentiment notre spirituel héros.
Mais le dimanche, c’est avec une certaine anxiété qu’il observe que l’hiver, pourtant déjà si rigoureux, «n’a pas encore été aussi rude depuis 4, 5 jours».
Mais voilà qu’on appelle les jeunes gens qui partent lundi … l’espoir renaît.
Les causeries en seront l’objet jusqu’au coucher; il est 20 heures, le camp de Cassel s’endort sous la neige.
René Jadot – 6e partie -2e volet
La grande affaire : la nourriture – Une cuisine et des repas améliorés
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Jugez que nous avons encore des
biscuits à recevoir. On ne voit que
des tailleurs qui confectionnent des
sacs pour y placer toutes ces bonnes
choses. Après-midi je me rends avec
Maurice à la cantine pour y acheter
une valise. A notre rentrée dans la
baraque on y distribuait un tas
de correspondances. Je suis encore
bien servi, j’en reçois encore une d’
Emilie, 1 J. Davio36 , 2 Marcel, 1 Mr Vicaire
1 chez moi. Pendant la distribution
je prends un bouillon avec Ernest,
Louis s’occupant de prendre les
cartes. Le 23/1/17 journée de camp
ordinaire le temps est froid.
Le 24/1/17 après le thé au biscuit
je me recouche jusque 9h.
Au lever je mouche37 un bout
36 Joseph DAVIO, Conseiller communal,
37Vraisemblablement lire « mange »
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de pain avec mes conserves aux moules.
Je nettoie ensuite mes 2 paires
de souliers avec le cirage de
Georges. A midi on annonce 1
cruche ½ de supplément de soupe ;
contentement général. Je rédige ces
notes en attendant la distribution
promise de biscuits. Après la
soupe de 6h on nous distribue 11
nouveaux biscuits cela nous fait 51
biscuits qui vont soulager de beaucoup
notre estomac. Le 25/1/17 je trouve
à acheter 1 boîte de conserves à
Fernand Bajart. Avec cela je pour-
rai encore me soigner un peu
mieux. Après la soupe de midi
je rôtis un petit bout de pain
pour manger le bouillon vers 3h.
Pendant que je rédige ces notes
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arrivent encore quelques biscuits.
Attendons pour en connaître le
nombre et en même temps le total
général. Les changements dans le
camp se font rares, on entend
lancer beaucoup de canards.
Le chef de section passe avec 3
biscuits ce qui fait que nous avons
reçu au total 54 biscuits. J’espère
vous en faire goûter un aperçu.
Ce soir mon tour est arrivé d’aller
à la soupe avec Georges. Après le
souper on nous rend encore 1 biscuit
pour 2 hommes. Vous voyez que les
partages se font comme aux enfants
pour la St Nicolas. Avant le coucher
j’achève sur mon lit le reste de
maïs restant dans mon bassin pour
pouvoir me reposer l’estomac rempli.
Le 26/1/17 nous avons le matin
le cacao et le midi la soupe aux
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poissons avec la ration encore
augmentée du jour précédent. Décidé-
ment on se propose de nous faire re-
trouver les quelques kilos perdus. De
plus on annonce pour le soir de la
soupe à la farine lactée je crois.
Après la soupe du soir on distribue
la correspondance. Je reçois 1 carte de Marie38
du 17 et 1 de Lilie du 20. Je vois que vous avez
tous meilleur espoir que nous autres car
ici nous ne savons absolument rien que
ce que les lettres nous apportent.
Le 27/1/17, 2e mois de départ de
nos familles. Espérons que nous ne verrons
pas le 90e jour que dans nos foyers.
J’entame une bonne boîte de pâté
de foie. Je rédige ces notes près d’une
fenêtre me chauffant au soleil
n’ayant pas de feu dans la boîte.
On annonce que les listes ont
38Marie JADOT, sœur de René JADOT
À Cassel - La grande affaire : la nourriture - Une cuisine et des repas améliorés
Du 22 au 28 janvier 1917
La grande affaire : la nourriture – Une cuisine et des repas améliorés –
Une correspondance suivie – L’ignorance totale du monde extérieur.
Nous l’avons dit et répété : l’hiver et ses rigueurs extrêmes assiègent le camp retranché de Cassel dans lequel les hommes se calfeutrent tant bien que mal.
Trois principaux sujets de conversation sont à l’ordre du jour : la correspondance, l’espoir d’un retour proche au foyer et enfin, la nourriture et donc aussi la confection des repas.
Leur nouvelle baraque dispose désormais d’une cuisinière «pour faire leurs petits fricots avec les biscuits, etc… mais il est difficile d’en approcher ». Il n’en reste pas moins que c’est un avantage appréciable pour le quotidien. D’autre part, la distribution de biscuits – René en recevra 54 au total ! – , de colis de l’extérieur ou les achats possibles à la cantine améliorent l’ordinaire. Sur une semaine, les repas – même peu caloriques, peu consistants – sont variés. Jugez-en : bouillon, supplément de ration de soupe (soupe au gruau d’avoine ou à la farine lactée), thé au biscuit, pain “rôti” ou non (rationné), conserves aux moules, maïs, cacao, bonne boîte de pâté de foie.
Cette “abondance” suscite l’ironie acérée de notre Floreffois «Décidément, on se propose de nous faire retrouver les quelques kgs perdus ».
Leur désœuvrement et donc leur faible dépense d’énergie et le fait qu’ils se tiennent la plupart du temps dans les baraquements – ainsi moins exposés au froid extrême – rendent leur situation moins intenable, voire supportable.
Pour ce qui concerne le courrier, René Jadot en reçoit neuf, de la famille et des amis, sur la semaine. Il observe finement que ses correspondants ont «meilleur espoir que nous autres. Car ici (à Cassel), nous ne savons absolument rien que ce que les lettres nous apportent ».
Deux longs mois déjà dans ce camp, loin de sa famille, sans rien voir de l’extérieur.
Et le transport des jeunes gens postposé au 22 janvier a été finalement décommandé.
Malgré tout, René Jadot garde le moral : il nettoie et cire ses chaussures et s’encourage lui-même : patience ! Surtout qu’il se dit que le Kreischef n’aurait reçu les listes (pour le retour en Belgique) que le 22 janvier.
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