René Jadot – 8e partie

Les constantes

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Le 12/2/17 je me
lève à 6h pour le cacao et me recouche
pour l’économie de pain et me lève
à nouveau vers 10h pour manger
½ ration en attendant midi. En me
rendant au bureau des chefs de
chambre je reçois une carte de Marie
du 5/2/17 m’annonçant sa sortie
chez Dieudonné. Je crois qu’elle a eu
bien raison de s’amuser pour une
occasion si rare. J’attends avec grande
impatience celle de maman du 1/2/17.
Le 13/2/17 je donne des nouvelles par
Victor Francart44 qui est désigné pour
le prochain chargement. Je reçois une
carte très encourageante de l’ami J. Davio.
A part cela journée ordinaire.
Le 14/2/17 encore couché à 9 ½ h, notre
chef de chambre vient dresser la liste des
employés, cultivateurs 5H45 , patrons, étudiants,
espérons que c’est pour le fameux
retour.

44 Rentré le 2/3/1917
                                                                                                            45 Cinq hommes

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Vers 3h pendant la fabrication du
café m’arrive une carte de Marie du
du 9/2/17 en réponse à la visite
d’Henri Piret. Là-dessus je mets
¼ de biscuit russe dans le café.
Le 15/2/17 rien de nouveau.
Le 16/2/17 on passe au bureau, employés,
cultivateurs et patrons pour se faire ins-
crire pour le prochain chargement. J’ai
enfin la chance d’être admis, pourvu
que cela réussisse jusqu’au bout.
Le 17/2/17 Georges revient ce jour de l’hô-
pital guéri de son clou. Il nous apporte
des biscuits russes et français, du pain
et cigarettes. Le 17/2/17 je reçois cette après-
midi une carte de l’ami Henri Piret qui
m’annonce son bon retour en bonne santé.
Merci à Henri j’espère bientôt lui serrer
la main. A la soirée je prends une
bonne tasse de cacao qu’un chef de
chambre a reçu dans un petit colis.

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Le 18/2/17 coup de théâtre : on annonce
que les hommes qui ont remis leur
pièce d’identité hier, en dehors des
invalides et hommes inscrits sur la
la liste de l’interprète, doivent se
trouver après la soupe de midi sac
au dos pour partir. Déception, sur
nous 7 nous ne restons que nous deux
Georges. Où vont-ils ?? Les adieux
se font à 1h et nous voilà restés à
20 dans la chambre où nous y étions
au début à 250. Quel vide. Serons-
nous chez nous nous autres, dimanche
prochain ? Que Dieu le veuille. Le soir
nous mangeons pour la 1ère fois la soupe
à la table à 27, reste de notre baraque.
Le 19/2/17 le matin on réunit 3 chambres
dans une seule. Tous les hommes désignés,
nous sommes maintenant voisins avec
les 3 frères Fontaine46 . Après-midi encore
un nouveau changement. Décidément
nous voila arrivés comme les

46 Gustave, Norbert et Jean, exploitants de la ferblanterie du même nom située
rue de la gare, Célestin Hastir à Floreffe

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escargots. Si Mr le Vicaire était
ici avec son appareil il aurait de
chics clichés. Les frères Fontaine
recoivent des petits colis. Ils nous
font participer dans la distribution
des bonbons pharmaceutiques merci beau
coup. A quand les miens de colis ?
Le 20/2/17 après le café de 6h nous
faisons une causerie avec Jean et Gust
sur notre paillasse. À 9h nous nous quit-
tons pour manger un bout de pain.
L’ami Georges le veinard reçoit à son
tour ce jour un petit colis qu’il par-
tage gracieusement avec moi. Souhai-
tons maintenant que le mien arrive
demain. La nuit fut très mouvemen-
tée par les acheteurs de biscuits et pains.
Le pain arrive bien à point cette nuit,
la distribution n’ayant pas eu lieu. On
aura double ration demain. Le 21/2/17
je fabrique dans la matinée avec
Georges un déjeuner complet reçu

 

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hier dans un petit colis. Après le
café (chicorée), dans l’après-midi je lave
mes quelques mouchoirs de poche sous
les chauds rayons du soleil. Vous ju-
gerez par là qu’il ne fait pas si
froid ici que chez vous. Maintenant
attendons la soupe. Après la soupe
je reçois 2 cartes : 1 de Lilie et 1 Marie,
j’en suis heureux car depuis quelques
jours le temps me semblait long. J’ai
eu cette nuit mal aux dents. Lilie tu
vois par là que tu n’es pas seule, j’at-
tribue cela au pain trop dur. Le 22/2/17
matinée ordinaire j’attends avec impa-
tience cette fois le grand moment. Plait
à Dieu (au revoir) et attends aussi le
petit colis et le mandat. Dans l’après-
midi circulent certains bruits, on va
paraît-il, ceux qui sont inscrits sur la
liste, aller remplacer les invalides
partis ce jour de la baraque 14
(salle d’attente pour la Belgique).
Je me rends le soir avec Georges
à la cuisine chercher la soupe.

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De suite après le souper, l’interprète
arrive à la baraque avec ses fameu-
ses listes de la délivrance prochaine.
On attend ¼ heure avec anxiété tant
que l’appel général n’est pas fini.
Enfin me voici mon nom appelé. Quelle
chance. Ainsi que Georges et les 3 Fon-
taine. On doit se rendre de suite
après le souper avec bassin et couvertures,
essuie-main au bureau, où l’on pro-
cède à l’appel final tout équipé et
en route pour le fameux (parc à pouilles47 ).
Nous avons ce jour fait un grand pas
vers notre chère Belgique, ce n’est
plus qu’une question de jours. Je vou-
drais tant vous le faire savoir mais
impossible. Nous sommes maintenant
nous 5 pour passer la 1ère nuit qui
fut très agitée vu la surexcitation
de tous les élus. Le 23/2/17 nous
restons dans nos couvertures à cause
que la chambre n’étant pas chauffée,
il fait plus chaud bien couverts.

47 parc à poules

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Tout en parlant déjà du retour
et de l’arrivée à Namur (somme
toute nous bâtissons déjà des châteaux
d’Espagne, les imprudents). Après la bonne
soupe aux poissons on décide vers 2h
de faire avec une nouvelle connais-
sance, Emile Gégo de Tongrines, de
faire un petit galeton48 avec un
excellent pâté de bœuf offert gra-
cieusement par les 3 veinards frères
Fontaine. On y contribue tous par
sa petite quote-part, ½ ration de pain.
Cela ressemble déjà au bon repas de
Belgique que nous escomptons bientôt
faire. De suite après ce bon repas
m’arrive la lettre tant attendue de
ma chère maman qui me dit ne
pas avoir eu son tour pour Marie.
Si vous saviez maman que je suis
heureux de me savoir ici dans cette

48 gueuleton

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baraque attendant le retour.
Dommage que vous ne le savez pas.
Le 24/2/17 je me redresse de ma
paillasse pour la soupe aux pois de
midi. N’ayant pas de feu j’ai plus
chaud dans les couvertures. Après le dîner
je reçois deux cartes : 1 Marie et 1 Lilie.
Vous demandez tous des nouvelles mais
je pourrai bientôt vous les communiquer
chez nous. Si vous le saviez seulement ??
Le 25/2/17 j’espère que voici notre dernier
dimanche d’exil à Cassel d’après les
bruits qui circulent. Aussi après-midi
nous prenons à nous 6 le café vers 3h,
après quoi nous fumons une excellente
cigarette qui normalement sont réservées
pour le retour.

Du 12/2 au 25/2/1917

Les constantes : le froid, la nourriture, le courrier – Confection de listes de déportés –
Des châteaux en Espagne? Alternance d’espoirs et de déceptions.

Ces deux semaines se traînent mortellement au camp de Cassel pour les déportés soumis à des alternances d’espoirs de retour suivis de déceptions de voir sans cesse reportée, l’échéance tant attendue de retour au pays.
Le quotidien reste invariablement scandé par le souci de la nourriture, le froid qui sévit toujours, l’attente et la joie lors de la réception de nombreux courriers : pas moins de dix cartes pour René Jadot sur ces deux semaines !
Pour se prémunir de l’hiver, il passe le plus souvent ses journées soit dans le bureau des chefs, mieux chauffé, soit dans le baraquement, sous les couvertures. L’apparition du soleil est si timide qu’elle est notée soigneusement lorsqu’elle se produit.
De petits colis de nourriture commencent à arriver et la solidarité aidant au partage, l’ordinaire s’en trouve amélioré par des biscuits, des conserves, des bonbons pharma-
ceutiques (?) et des … cigarettes. Un jour cependant, René se plaint de mal de dents qu’il attribue au pain trop dur.
Soudain, coup de théâtre ! Le dimanche 18 février, à 17 h., de très nombreux hommes de la chambrée partent pour une destination inconnue. C’est ainsi que des 250 qu’ils étaient dans le baraquement, ils se trouvent désormais réduits à vingt; du groupe de copains de René, seul reste avec lui son ami Georges. Le lendemain, sa chambrée est regroupée avec deux autres. C’est le troisième déménagement avec, à chaque fois, tout leur équipement, ce dont s’amuse René :«Décidément, nous voilà arrivés comme les escargots !».
Il est maintenant avec les trois frères Fontaine, son copain Georges et une nouvelle connaissance, Émile Gégo, de Tongrinne. Tous, sauf notre Floreffois, ont reçu des petits colis. Il les attend donc avec impatience.
Le jeudi suivant, 22 février, des bruits circulent… René et ses amis sont appelés au bureau des chefs, tout équipés, car ils figurent sur la liste d’appelés par l’interprète.
«Un grand pas est fait vers notre chère Belgique», songe René en quittant leur baraque, mais l’anxiété subsiste. Même s’il semble que cette fois, ce soit la bonne, attention à ne pas bâtir des châteaux en Espagne…
René cependant, éternel optimiste, est convaincu que ce 25 février, c’est le dernier dimanche qu’il passe au camp de Cassel.

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